Samedi 7 novembre 1987
Affaires : LES HOMMES DE L’ART
Cocktail thaï
Il est thaïlandais, habite à Bordeaux et vend… du cognac et de l’armagnac au… Japon : Pathom Vongsuravatana exporte chaque année 90 000 caisses de liquide doré au pays du saké. Une belle affaire montée à force de patience toute asiatique !
Sa réussite repose sur le principe de la vente directe. Il est en effet parvenu à contourner le réseau des intermédiaires nippons. Un carcan auquel seule, jusqu’ici, la firme Coca-Cola avait pu échapper. Au Japon on compte environ un grossiste pour deux cent cinquante consommateurs. Un système qui fait grimper le prix de la bouteille de cognac à 30 0000 yens ! 1 200 francs ! Grâce à Pathom Vongsuravatana, les Japonais peuvent maintenant en trouver à 6 000 yens. « Il a fallu des années pour convaincre un distributeur de saké de vendre du cognac sans autre intermédiaire que moi entre le producteur et la boutique de détail », explique-t-il.
Fils aîné d’un homme d’affaire thaïlandais, Pathom Vongsuravatana s’est installé à Bordeaux en 1964, renonçant alors à un poste d’enseignant à l’université de droit de Bangkok. Quelques contacts noués lors d’un séjour estudiantin dans le vignoble cognaçais lui permettent de débuter. Sans tapage mais avec persévérance, il prospecte et négocie. De temps à autre, il signe un accord. Sa silhouette un peu ronde est bien connue sur les coteaux d’Armagnac. Sans négliger les grandes maisons qui l’avaient désigné comme mandataire, il préfère travailler avec les petits producteurs, dont il connaît les difficultés de commercialisation. Car ce joueur d’échecs est un fin commerçant. Ce rôle de « pont entre l’Orient et l’Occident » lui plaît. Même converti à la religion catholique, et naturalisé français, Pathom Vongsuravatana n’a rien renié de sa culture maternelle. « Je ne connais pas le marketing, dit-il. Je préfère cultiver l’amitié et inviter les gens chez moi. »
Sa connaissance des deux civilisations lui permet d’éviter à ses clients français quelques maladresses commerciales. « Jamais d’étiquette bleue, couleur de deuil au Japon, conseille-t-il, mais du rouge vif, symbole de fête. »
Imaginatif, il s’essaie même à inventer des marques. Il est d’ailleurs assez fier de son Prince d’Armagnac, qui l’a aidé à conquérir une place de choix sur le marché japonais. « Je suis numéro un au Japon pour l’armagnac, affirme-t-il. Ce marché va encore connaître une expansion formidable. Il faut être prêt. »
En lançant, en août 1986, la bouteille de cognac à 6 000 yens, Pathom Vongsuravatana a pris une longueur d’avance. Il a suffi d’un petit article dans les journaux japonais pour que, dès le lendemain, les clients fassent la queue devant les boutiques de l’honorable M. Kamiyama, le « client et ami, de Pathom Vongsuravatana. Jouant avec les coupures de la presse japonaise, Pathom Vongsuravatana sourit encore de son astuce, qui a contribué à ce joli succès. Le lancement n’a pas coûté un centime au producteur de Juillac-le-Coq (Charente), René Roy, dont, suprême raffinement, il a simplement inversé le nom pour créer une marque : Roy René. Résultat : « En un mois, j’ai rattrapé Otard, sixième exportateur sur la marché japonais, estime-t-il. D’autres maisons suivent mon exemple. C’est si simple ! »
De notre correspondante à Bordeaux
GINETTE DE MATHA